Il n’avait pas l’habitude d’en parler avec des étrangers. Ce n’était pas qu’il sentait qu’il avait quelque chose à cacher ou qu’il y avait un truc dont il devait avoir honte. 

Mais à ses yeux, d’abord, cette affaire était privée, personnelle, presque intime. 

Ensuite, ce sujet était toujours délicat, et quand il surgissait dans une conversation, les gens réagissaient parfois de manière très étrange. Et il n’avait tout simplement pas envie de s’occuper des fantasmes et des peurs de personnes étrangères. Il en avait assez des siens.

Et pour finir, il ne voulait vraiment pas qu’on le traite différemment simplement parce qu’il était malade.

Mais cette fois-ci, pour être honnête, il n’avait pas vraiment eu le choix.

Il est monté dans le taxi qu’il avait appelé et donna son nom.

Le taxi était chic. Des sièges confortables l’ont accueillis lorsqu’il s’est assis à l’arrière. Le chauffeur, jeune et légèrement négligé, avait l’air un peu décalé avec l’atmosphère générale.

« On va à l’hôpital ? », a demandé le chauffeur.

« Oui, à l’entrée principale s’il vous plaît. »

« OK. Nous arriverons dans environ une heure. Installez-vous confortablement et profitez-en. Si vous le souhaitez, vous avez une bouteille d’eau à côté de vous. Voulez-vous de la musique ? Quelque chose de spécifique ? »

« Merci beaucoup. Votre taxi est vraiment très confortable. Et pour la musique, ce que vous choisissez me convient. »

Le chauffeur a choisi une station de radio diffusant du jazz doux et s’est mis en route.

Il était environ onze heures du matin et la route était chargée. Il a plongé dans ses pensées. Il espérait vraiment qu’il n’y aurait pas beaucoup de gens et qu’il ne croiserait pas à nouveau la jeune technicienne avec les mains tremblantes qui avait raté sa prise de sang la semaine précédente. On pouvait encore voir la tache bleue à l’intérieur de son bras où elle avait essayé de piquer.

Il s’est demandé aussi si on lui proposerait un déjeuner à son arrivée. Il n’avait pas faim et ça ne lui plaisait pas trop de refuser au cas où un déjeuner serait servi.

Alors qu’il pensait aux aiguilles, aux seringues, et à la soupe de courgettes aqueuse qui commence chaque repas à l’hôpital, le chauffeur s’est tourné vers lui et a demandé : « Tu vas en chimio ? »

La question était si directe et surprenante que la seule chose qui lui vint à l’esprit fut « Oui ».

« Depuis combien de temps es-tu malade ? » demanda le chauffeur.

« Depuis quatre ans. »

« Et comment ça va pour toi ? »

Il lui était déjà arrivé que des gens lui posent des questions. Même des gens qu’il ne connaissait pas vraiment. Souvent, ces questions étaient posées de manière artificielle. Sans réel intérêt, ou pire encore, elles servaient de prélude à un discours ou à une série de conseils :

« Tu dois être fort. Tout ira bien. »

« Je comprends vraiment comment tu te sens, l’année dernière j’ai eu une grippe terrible. »

« J’ai un ami que je soutiens. Il souffre d’une grave maladie. Je m’occupe de lui et il m’est très reconnaissant. »

« Comment s’appelle ton médecin ? »

« Tu as essayé d’arrêter de manger du gluten, du sucre, et du lactose ? »

Il pensait toujours que ces questions et conseils étaient agaçants et que les gens qui se permettaient de les poser étaient impolis, manquaient de tact, et de manière générale, étaient insupportables.

Mais cette fois-ci, c’était différent. Les questions étaient posées avec une simplicité inhabituelle. 

La première chose qu’il remarqua était le silence après chaque question. Le chauffeur n’essayait pas de parler, de donner un conseil, ou de faire un discours. Il n’insistait pas et ne bavardait pas. Il attendait une réponse. En silence.

Alors il a répondu. Avec la même simplicité.

« Pour l’instant, ça va. Hier n’était pas une journée facile, et cette nuit j’ai mal dormi. Ce matin, j’ai eu beaucoup de mal à me lever, mais maintenant ça va mieux. Il n’y a aucune logique dans cette affaire. Je suis juste content de me sentir un peu mieux et j’espère que ça va durer un peu ».

Le silence est revenu dans le taxi. Les sièges étaient toujours confortables. La musique était douce. Et personne ne parlait plus.

Lorsqu’ils sont arrivés à l’entrée de l’hôpital, le chauffeur s’est arrêté. Il s’est tourné vers lui et a demandé : « Penses-tu avoir appris à vivre avec le cancer ? »

Il réfléchit un moment et dit: « Je ne sais pas vraiment. »

Il est descendu du taxi, est entré dans l’hôpital, et s’est dit: « J’espère vraiment que cette fois-ci ce sera une autre technicienne. »