Le texte suivant a été écrit dans le bain.

Vendredi. Vers huit heures du soir. Ça faisait plusieurs semaines qu’il n’avait pas eu ne serait-ce qu’un instant de soulagement. 

Soit il avait mal ici, soit il avait mal là, soit il avait des nausées, soit il était tellement fatigué qu’il n’arrivait ni à se lever, ni à penser, ni à parler. 

Et souvent c’était une combinaison de plusieurs de ces maux en même temps.

Les causes de cet état n’étaient pas vraiment claires. Etait-ce la maladie elle-même ? Le traitement ? Ou peut-être les médicaments ? 

Dans tous les cas, ce qui était clair, c’est que ces sensations merdiques l’entouraient constamment et de toutes parts. Et qu’il ne trouvait ni solution ni réconfort. Et tout ça devenait de moins en moins supportable.

Ils étaient assis, tous les trois, autour de la table après avoir fini de dîner. La grande était sortie avec des copains et rentrerait tard.

Malgré ses efforts, il n’avait pas réussi à effacer ou à cacher sa grimace qui disait « J’ai mal, et j’ai des nausées, et je suis épuisé ». 

Et puis, soudain, elle lui dit : « Dis, tu ne veux pas faire un bain ? »

Les bains et les douches sont une affaire sérieuse. 

Des recherches ont été menées, des articles ont été publiés et des livres ont été écrits à ce sujet. Aristote, dans son livre « Politique », a traité la question des bains et de leur impact sur la société dès le IVe siècle avant notre ère. 

Michel Foucault a également écrit sur les douches dans son merveilleux livre « Surveiller et punir », publié en 1975.

Et comme tu le sais certainement, l’humanité est divisée en deux types de personnes : « les gens des bains » et « les gens des douches ».

Et lui, sans aucun doute et depuis toujours, faisait partie des « gens des douches ». 

Comme l’a dit une fois un ami sage, les douches chaudes étaient vraiment son hobby (après tout, il était propre après cinq minutes. Alors pourquoi rester sous l’eau si longtemps ?!).

Donc tu t’imagines que la proposition l’a quelque peu surpris. D’abord, il n’a pas compris ce que les bains auraient pu à voir avec lui, et de plus, il ne voyait pas comment ça pourrait l’aider.

Mais il lui faisait toujours confiance. Donc si elle lui proposait un bain, il y avait sûrement une certaine logique. Alors il dit : « Pourquoi pas ».

La petite était bien amusée par cette histoire et dès qu’il a répondu, elle s’est précipitée pour mettre les choses en place. « Je vais te préparer un bain », a-t-elle annoncé. « Tu veux de la mousse ? » 

Et après environ un quart d’heure, elle a annoncé : « Papa, ton bain est prêt ».

La salle de bain était chauffée, la baignoire était remplie d’eau chaude, une couche de mousse flottait doucement. 

Elle a même mis une petite musique douce, a éteint la lumière et allumé des bougies. 

Elle lui a dit « Si tu as besoin de quelque chose, fais-le moi savoir » et a fermé la porte derrière lui.

Il était environ neuf heures du soir. Il souriait et s’est mis dans le bain. 

Et puis quelque chose d’entièrement inattendu s’est produit. Dès que son corps a été enveloppé d’eau, il a soudainement réalisé que pour la première fois depuis très longtemps, il se sentait vraiment bien. 

Pas « pas mal », pas « OK », pas « au regard de la situation ». Juste « bien ». 

Il se laissait aller dans l’eau et dans ses pensées. Après un certain temps, un message est apparu sur son téléphone : « Je rentre tard. Ne m’attendez pas », a écrit la grande. « Pas de problème. Je suis dans le bain. Préviens quand tu pars vers la maison. » 

Il a regardé l’heure. Il était 22h30. Il a pensé « Je suis dans l’eau depuis une heure et demie déjà. Peut-être que je devrais sortir ». 

L’eau avait légèrement refroidi, alors, avec le bout de son orteil droit, il a rajouté de l’eau chaude et est retourné à ses pensées. Il a peut-être somnolé un peu parce que il n’a pas senti le temps passer lorsque son téléphone lui a signalé qu’un nouveau message était arrivé : « Je sors maintenant. J’arrive dans environ une heure. » 

Il était un peu après minuit. Et l’eau s’était encore refroidie. 

Il a rajouté, à nouveau, de l’eau chaude et s’est replongé dans ses pensées. 

Vers une heure du matin, il a entendu la porte s’ouvrir et la grande rentrer à la maison. Il s’est levé, s’est rincé, s’est séché avec la serviette chaude et a enfilé son pyjama. Dans le couloir, il a croisé la grande. Elle l’a regardé avec étonnement et a dit : « Dis donc, combien de temps as-tu passé dans l’eau ?! » Il lui a souri et est allé dans son lit en se disant « Je pense que demain je prendrai à nouveau un bain. »